L'anti-somnambulique
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Cours de philo      

LE TEMPS : QUELLE REALITE ?


    Nous parlons du temps comme d'une réalité qui nous domine et même nous emprisonne ("Il a fait son temps !").
    Pourtant il arrive bien souvent que, engagé dans une action, nous oublions que le temps existe.
    Qu'est-ce que le temps ? Une prison ? Une illusion ? A quelle type de réalité appartient-il ?

1- Le temps comme réalité objective

    L'expérience du temps a un caractère incontournable : on constate l'empreinte du temps dans le changement des saisons, dans l'usure des choses et des êtres ; on place d'emblée tout ce qui est, tout ce qui advient, dans le temps ...
    De ce point de vue, le temps fait partie des réalités qui ne dépendent pas de nous, mais qui s'imposent à tout le monde d'une manière propre que l'on reconnaît par l'utilisation d'un vocable commun : le temps serait une réalité objective.

    NEWTON :"Le temps absolu, vrai et mathématique, en lui-même et de sa propre nature, coule uniformément sans relation à rien d'extérieur." Ainsi précisé, le temps est une sorte d'absolu, contenant universel dans lequel tout doit se ranger. Mais à cette conception du temps comme réalité objective s'oppose le fait que le temps n'est pas intuitionnable en propre, il ne s'appréhende toujours qu'à travers des phénomènes particuliers; si bien qu'on peut se demander si, au fond, le temps n'est pas lié à notre façon de saisir les phénomènes.

2- Le temps comme réalité subjective

    SAINT-AUGUSTIN : "Qu'est-ce que le temps,? Si personne ne me le demande, je le sais; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus." Je ne puis en effet jamais dire le temps directement, il faut que je parle d'autre chose pour le faire apparaître : ces feuilles qui sont jaunies et non plus vertes ... Le temps serait un certain rapport que l'on mettrait entre les phénomènes; à ce titre, il serait lié à l'activité de notre esprit considérant les choses, il serait d'essence subjective.
    Cette conception permettrait de rendre compte des paradoxes du temps. Comme par exemple l'apostrophe de LAMARTINE " O temps suspend ton vol ..." qui peut induire notre répartie : Combien de temps le temps doit-il suspendre son vol ? LAMARTINE objective le temps, il peut donc le supprimer en esprit; mais le temps renaît aussitôt de ses cendres comme s'il était lié à notre manière de penser les choses.

    Nous sommes donc contraint de dire que le temps est subjectif, après avoir reconnu son objectivité. Peut-on sortir de cette impasse ?

3- Le temps comme réalité transcendantale

    KANT remarque, dans la Critique de la Raison Pure, qu'on ne saurait envisager des phénomènes hors de leurs rapports de succession ou de simultanéité; le temps n'est donc pas déduit de notre expérience, mais toujours déjà là quand notre expérience commence. Il est la forme a priori de notre sensibilité.
    Or les notions d'objectivité et de subjectivité sont elles-mêmes déduites de l'expérience : les expériences partagées par tous (objectivité) s'opposant à celles qui ne sont que miennes (subjectivité).
    Dès lors nous montre KANT, "le temps est la condition formelle a priori de tous les phénomènes en général ", ce qui veut dire que les notions d'objectivité et de subjectivité présupposent sa mise en œuvre. Et KANT a créé l'adjectif "transcendantal" pour une telle réalité qui est condition suprême de toutes nos connaissances.
    KANT nous apprend qu'il faut que la dimension temporelle soit déjà là pour que l'on puisse même se percevoir comme sujet. Mais ce temps comme horizon indépassable de tout ce que l'on vit est-il tout le temps que nous voulons signifier lorsque nous en parlons ?
    En effet ce temps kantien est essentiellement facteur d'ordre. Il est capacité de mettre en relation les phénomènes selon l'ordre de l'avant et de l'après.
    Or le temps qui fait sens pour l'homme a une tout autre substance ! Il est essentiellement valorisé ; ainsi nos représentations rêvées peuvent être ordonnées selon l'avant/après et pourtant nous n'éprouvons pas le temps de nos rêves. Il nous faut donc trouver une autre source pour rendre compte de la réalité du temps.

4- Le temps comme durée vécue

    BERGSON :"Que le temps implique la succession, je n'en disconviens pas. Mais que la succession se présente d'abord à notre conscience comme la distinction d'un "avant" et d'un "après" juxtaposés, c'est ce que je ne saurais accorder. Quand nous écoutons une mélodie, nous avons la plus pure impression de succession que nous puissions avoir - une impression aussi éloignée que possible de celle de la simultanéité - et pourtant c'est la continuité même de la mélodie et l'impossibilité de la décomposer qui font sur nous cette impression. Si nous la découpons en notes distinctes, en autant d'"avant" et d'"après" qu'il nous plaît, c'est que nous y mêlons des images spatiales et que nous imprégnons la succession de simultanéité: dans l'espace et dans l'espace seulement, il y a distinction nette de parties extérieures les unes aux autres. Je reconnais d'ailleurs que c'est dans le temps spatialisé que nous nous plaçons d'ordinaire, Nous n'avons aucun intérêt à écouter le bourdonnement de la vie profonde. Et pourtant la durée réelle est là". La pensée et le mouvant, La perception du changement.

    Est ici ouverte la perspective d'un temps profondément enraciné dans le vécu, que BERGSON désigne par le mot "durée", par rapport auquel le temps tel que l'envisageaient NEWTON ou même KANT n'est qu'une intellectualisation réductrice (du "temps spatialisé").
    Ce temps-durée, c'est l'expérience fondamentale qu'il y a du changement bien avant qu'il y ait des choses qui changent (identifier une chose, c'est retenir du permanent dans le flux du changement). On retrouve ici le mobilisme universel d'HERACLITE, mais en plus avec tout ce qu'il implique pour donner son plein sens au verbe "exister". En effet le changement est incessante création de nouveauté par rapport auquel exister c'est être dans une sorte d'oscillation continue entre l'attente de satisfactions et la formulation de nouveaux désirs (pour s'adapter au changement). Qui n'a intimement expérimenté que le temps dure plus ou moins selon l'état de ses désirs ?
    Cette course-poursuite se déroulant toujours sous l'horizon du changement irrémédiable que constitue la mort, défaite finale du désir de vivre, on comprend qu'au fond le temps renvoie à l'existence dont il décline la dimension tragique. D'ailleurs, la notion de temps partage à la fois la même évidence et la même opacité que la notion d'existence.

Conclusion

    Le temps n'est ni simplement une réalité objective ou subjective, il ne peut non plus être seulement une forme transcendantale au sens kantien. Et pourtant, il est indéniable qu'il possède toutes ces facettes contradictoires. Et si le temps défie ainsi la logique, c'est parce qu'il renvoie à une réalité plus fondamentale. L'homme vit dans le temps et met l'ensemble des réalités dans le temps parce qu'il existe (étymologiquement ek-sistere: être hors de soi), c'est-à-dire parce qu'il est continuellement contraint de confronter son "infini intérêt à vivre" (Kierkegaard) avec une réalité qui par sa nature changeante lui est inadéquate. Il convient d'insister : il ne s'agit pas d'un retour au temps subjectif. L'existence, le désir, le changement, réalités qui contribuent à l'élucidation du temps, sont préalables à la formation du sujet. Ce qu'exprime la notion de temps, au-delà de toute caractérisation du monde ou du moi, c'est un pathétique proprement métaphysique du vivre humain.

m'écrire    PJ Dessertine