L'anti-somnambulique
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Sida :
prévention et sexualité des jeunes

    Aujourd'hui, la prévention du sida est une responsabilité éducative majeure des adultes vis-à-vis des jeunes générations.
    Mais cette prévention est délicate, en fait le discours préventif habituel qui tourne autour de : « il faut mettre un préservatif ! », passe mal. Nous livrons ici quelques propositions qui voudraient contribuer à infléchir le discours adulte, en particulier dans l'institution éducative, de façon à le rendre plus adapté à l'attente des jeunes.

1. Ce n'est pas tant d'information que de réflexion sur la prévention du sida dont les jeunes manifestent le besoin.

    Selon une enquête faite en 1996 dans le cadre du Groupe de Prévention d'un grand lycée de Marseille, portant sur 1500 élèves, 80 % des élèves jugent avoir une information suffisante sur le sida, mais 70 % souhaite que l'institution les aide à réfléchir sur le sida. Les élèves se sentent informés, mais ils ont conscience qu'en la matière l'information ne suffit pas.

2. S'il y a demande de réflexion, c'est qu'il y a des problèmes dans la maîtrise de la rencontre sexuelle auxquels une simple information ne permet pas de répondre.

    L'information de prévention du sida est simpliste, elle veut rétablir une vision de la sexualité d'avant sida. C'est la vision d'une espèce "d'âge d'or" de la sexualité, celle d'après la répression (Mai 68 a débuté chronologiquement comme revendication, dans les résidences universitaires, de pouvoir aller librement dans les bâtiments réservés au sexe opposé), et d'avant la protection (à partir de 1984). C'est d'ailleurs la génération concernée par cette période qui s'exprime surtout dans les campagnes de prévention.
    Selon cette vision, la sexualité est une fonction corporelle dont l'index d'accomplissement est, comme pour les autres fonctions organiques, la sensation de plaisir, avec l'idée supplémentaire que le plaisir sexuel est le premier de tous les plaisirs.
    Il y aurait donc eu l'apparition d'un problème, le virus immuno-dépresseur, dans une fonction vitale qui allait de soi. Prévenir reviendrait à informer sur la solution technique à ce problème, soit l'utilisation du préservatif.

    Mais la sexualité humaine ne peut se réduire à une fonction particulière du corps :

  • elle n'est pas simplement commandée par instinct ;
  • elle ne peut pas être enfermée dans l'excitation d'une zone organique localisée ;
  • elle ne peut pas plus être limitée à des périodes déterminées ;
  • elle n'est pas asservie nécessairement à la reproduction ;
  • elle implique la totalité de l'individu.
3. La sexualité humaine est en soi un problème, lequel pourrait se formuler ainsi : comment accomplir mon individualité dans la perspective d'un désir sans limites de l'autre ?

    Il ne faut pas confondre sexualité humaine et génitalité. La première est une dimension existentielle spécifiquement humaine, la seconde est une forme de la fonction reproductrice largement répandue dans le règne animal. Et si la première s'alimente de manière privilégiée à la seconde (voir la notion psychanalytique d'étayage comme tentative de rendre compte de leur articulation), elle la déborde infiniment.
    La sexualité humaine est désir d'autrui qui engage tout notre être et remet en cause son mode d'existence en tant qu'être séparé.
    C'est pour cela que la visée d'autrui dans le désir sexuel parce qu'elle est de l'ordre de la fascination (à laquelle renvoie la notion d'érotisme), demande à être collectivement réglée, ce qui se réalise d'abord par le sentiment de pudeur.

4. L'adolescence est, par excellence, la période de la vie en laquelle la sexualité est un problème manifeste.

    La maturation génitale conduit l'adolescent à chercher des voies de satisfactions sexuelles dans des partenaires du même âge, à l'extérieur du cercle familial, donc en terra incognita. Cette satisfaction implique alors la mise à nu de son corps qui est encore mal accepté parce que tout juste métamorphosé.
    Or justement, par sa nature propre, la pulsion sexuelle pousse vers une confiance totale en l'autre.
    Il y a donc, au moins, pour l'adolescent, l'angoisse de mettre en jeu dans la relation sexuelle, son individualité peu assurée.

5. Il est vain de vouloir prévenir les comportements sexuels à risque chez les jeunes en essayant de les amener au "réflexe préservatif".

    Il apparaît que l'idée de "réflexe préservatif" est incompatible avec l'acte sexuel accompli, c'est-à-dire qui implique l'individu comme totalité. En effet il signifierait l'abandon de l'attention consciente dans un moment très chargé de signification de la relation amoureuse.
    Certes, il peut y avoir un comportement sexuel réifié, devenu une simple satisfaction hygiénique d'un besoin physiologique ou d'un désir compulsif prédéterminé fantasmatiquement, et en cela pouvant intégrer tous les comportements réflexes que l'on veut. Mais faisons appel à l'expérience de chacun : ce ne sont pas de tels comportements qui vont servir de référence pour nous indiquer ce que peut être la satisfaction sexuelle !
    Il est en tous cas certain que ces comportements ne peuvent concerner les premières expériences sexuelles, lesquelles, par l'enjeu qu'elles représentent pour eux, sont pleinement investies par les adolescents.

    Mettre un préservatif, pour un adolescent, ne peut en aucun cas être un comportement réflexe, d'autant plus qu'il s'inscrit à contre-courant de la pulsion sexuelle qui veut la confiance totale.

6. Il faut accepter l'idée que dans la prévention contre le sida, il n'y a pas de solution toute faite, qu'il y a par contre un certain coût au niveau de la sexualité humaine, et que c'est à chacun de trouver sa solution, librement, par réflexion.

    La prévention du sida complique singulièrement le problème essentiel des adolescents qui est la découverte et la maîtrise (toujours relative) de la sexualité génitale.
    Si l'on comprend cela, on peut éviter de lui proposer des solutions irréalistes, et lui offrir ce qu'il attend des adultes : une sensibilité à ses problèmes réels et donc une écoute et un soutien sympathique (au sens étymologique : "souffrir avec" ; parce qu'on a été soi-même adolescent et confronté à ces problèmes) qui lui permette de développer une réflexion nécessaire pour parvenir à cette maîtrise.
    Cette exigence de réflexion est d'autant plus nécessaire :

  • que la nécessité de se protéger contre une éventuelle contamination virale HIV démultiplie la difficulté de la relation au partenaire ;
  • que dans nos sociétés occidentales ou occidentalisées la situation est singulièrement aggravée par une vision illusoire de la sexualité induite par le bain d'images réductrices auxquelles tout un chacun est soumis.

    PJ Dessertine,   1996