L'étude de la philosophie en classe de
Terminale implique de subir un certain nombre de contraintes :
- Les contraintes liées à l'organisation du lycée,
en particulier :
- l'absence de liberté de mouvement liée
à l'obligation de présence;
- les limitations d'expression liées au
respect du groupe-classe.
- Le programme imposé en philosophie.
- Le fait du baccalauréat à réussir à
courte échéance. Cela entraîne la nécessité
de performance l'année même de l'initiation à
la matière.
- La forme même du Bac : épreuve écrite en 4 heures,
par choix d'un sujet parmi trois proposés, selon la forme de
la dissertation et du commentaire.
Or l'étude de la philosophie en Terminales
est censée être " l'apprentissage de la liberté
par l'exercice de la réflexion " (A. de Monzie, Instructions
officielles).
Nous voulons proposer aux élèves quelques
repères pour qu'ils puissent concilier cette exigence de liberté
portée par la philosophie avec le contexte contraignant de
son apprentissage.
Première proposition : Il faut partir du principe que l'ensemble
des contraintes imposées à l'étude de la philosophie
au lycée ont une cohérence globale et que celle-ci est favorable
à l'exercice de la pensée.
Il ne s'agit pas d'exclure que des contraintes
puissent être illégitimes : l'organisation de la vie du
vaste groupe social qu'est un lycée, le budget alloué
et sa gestion, la définition du règlement intérieur,
etc., tout cela est pris dans la contingence des décisions humaines.
C'est pour cela que nous parlons de "principe". En tant qu'étudiant
la philosophie, l'élève doit partir de la confiance que
l'institution, avec toutes les contraintes qu'elle impose, lui donne
le meilleur contexte possible pour accéder à la pensée
philosophique. Il peut ainsi garder son esprit disponible pour s'y consacrer.
S'il n'a pas cette confiance au départ, alors il
faut qu'il s'occupe de régler le problème institutionnel
au préalable ; il y a, pour cela, un cadre légal
tout à fait favorable.
Deuxième proposition : Personne, pas même le professeur
de philosophie ne peut obliger autrui à philosopher. Cela est impossible.
C'est donc à chaque élève de choisir d'entrer ou
non dans la réflexion philosophique.
Corollaire : On peut passer toute son année
scolaire à respecter les contraintes de l'enseignement de la
philosophie, sans jamais philosopher.
Philosopher est un acte important de la liberté
humaine parce qu'il implique un risque existentiel : quitter le confort
d'une vision du monde héritée pour les incertitudes d'une
réflexion rationnelle indéfinie parce que n'acceptant
aucune limitation extrinsèque.
On peut donc apprendre la philosophie sans jamais philosopher
: il suffit de mémoriser les savoirs, d'appliquer les règles,
de maîtriser un certain langage ... Il y a un savoir de la philosophie
qui est de l'ordre du savoir technique, mais qui n'est pas encore de
l'ordre de la pensée.
Notre expérience contemporaine de l'enseignement
de la philosophie montre qu'il y a une grande majorité de lycéens
qui ne sont pas mûrs pour prendre le risque de la réflexion
philosophique. Ce fait, parce qu'il implique la personne totale de chaque
individu avec son histoire singulière, échappe à
la maîtrise de la relation pédagogique. Aucune contrainte,
aucun artifice didactique ne peut le changer.
Troisième proposition : L'étude de la philosophie en
Terminales présupose ce contrat minimum : que le professeur apporte
les moyens indispensables pour acquérir le savoir technique de
la philosophie ; que les élèves acceptent de subir les contraintes
et de faire les efforts nécessaires pour l'acquisition de ce savoir.
L'exercice de la pensée philosophique
est requis pour répondre pleinement aux exigences du devoir de
philosophie au Bac.
Cependant ce contrat minimum respecté par un élève
qui n'a pas accumulé des handicaps graves dans l'acquisition
d'une culture générale et la maîtrise de la langue
durant sa scolarité, devrait lui permettre d'assurer une note
correcte au Bac (la moyenne)... même s'il n'a, en son année
de Terminale, jamais philosophé !
Cela fait-il perdre tout sens à l'enseignement
obligatoire de la philosophie en France ? Non ! La maîtrise de
l'argumentation, la possession d'outils conceptuels, la familiarisation
avec l'ouverture des perspectives liée aux points de vue généraux,
la capacité d'interroger le langage, la connaissance de doctrines,
sont autant de savoirs qui seront revivifiables lorsque, plus tard,
l'expérience de l'existence s'étant diversifiée
et dramatisée, le " besoin de la raison " (Kant) sera ressenti
qui pourra s'investir dans un vraie réflexion philosophique.
Quatrième proposition : On ne peut philosopher dans le but d'une
bonne performance au Bac. On ne philosophe que pour la joie d'être
lucide. Et la performance à l'examen sera donnée par surcroît.
La philosophie ne peut jamais être un
moyen pour un but particulier de l'existence. Parce qu'elle est une
valeur en elle-même. Elle est la lucidité, c'est-à-dire
la mise en lumière ; et quand on est dans l'obscurité,
la lumière est valeur en soi.
Dans la mesure où le contenu du discours philosophique
touche les problèmes essentiels liés à la condition
humaine, il est normal que les buts particuliers (avoir une bonne note)
s'effacent devant l'intérêt du sujet. Et c'est bien cet
investissement dans la pensée en quête de lumière
que le correcteur juge d'abord.
Il reste qu'il y a un net décalage entre les buts
de l'institution scolaire (l'accès aux diplômes) et la
finalité de la réflexion philosophique (la lucidité).
C'est la prise en compte de ce décalage qui permet de comprendre
la place singulière de la philosophie dans l'enseignement. Il
est souvent difficile d'accepter le renversement de perspective dans
l'acte d'apprendre qu'implique la philosophie : il ne s'agit plus d'acquérir
un certain nombre de propositions représentant un savoir déterminé,
utilisable dans des occurences déterminées, car ce qui
compte ce n'est pas le savoir qu'on applique, c'est la lucidité
qu'on apporte.
Mais il faut savoir gré à l'institution
scolaire française d'assumer l'inconfort de ce décalage
pour offrir à chacun l'occasion de prendre contact avec la philosophie.
En se soumettant aux contraintes qu'elle édicte, on se donne,
certes, les moyens d'accéder au statut social désiré,
mais, en outre, on a la possibilité d'entrer dans une aventure
personnelle et collective de lucidité.
Cinquième proposition : On peut très bien être
en situation de ne pas pouvoir comprendre la valeur de la philosophie.
Mais on peut toujours au moins admettre cette valeur. Il suffit pour cela
que s'établisse une relation de confiance suffisante avec des adultes
promouvant la philosophie comme valeur.
Nous avons reconnu le fait contemporain de l'insuffisante
maturité de la plupart des élèves de Terminales
pour comprendre la valeur de la philosophie. Cependant le professeur
n'est pas impuissant. L'honnêteté et la clarté de
son engagement, son désir de faire partager à ses élèves
les joies de la pensée, peuvent les gagner à l'idée
que la philosophie est une valeur. Même si cela n'est pas suffisant
pour leur permettre de penser philosophiquement, ils peuvent trouver
là une motivation favorable dans l'accueil des savoirs et un
vécu plus positif de leur année de Terminales. Et pourquoi
pas, cela peut laisser dans la conscience lycéenne la brillance
d'une étoile prometteuse, à suivre un jour ?...
Sixième proposition : C'est peut-être le plus haut sens
de la liberté que de choisir des contraintes parce qu'elles permettent
d'accéder à ce que nous jugeons avoir le plus de valeur.
Pourquoi, en fin de compte, accepter les contraintes
de l'apprentissage de la philo alors que l'on peut sans trop de dommage
faire discrètement autre chose, "sécher" quelques cours,
, etc...? Parce que chaque indvidu a en lui le sens d'une valeur supérieure,
qu'il peut ou non cultiver, et qu'il n'a pas tort d'appeler "liberté".
Il sait en effet qu'il peut choisir de renoncer à des valeurs
imposées - celles, en particulier, que l'on range sous
la rubrique "plaisirs" et qui sont imposées d'abord par notre
constitution naturelle, pour aller vers des valeurs pensées,
c'est-à-dire qui n'existent que dans la mesure où les
hommes se sont efforcés d'élucider leur condition humaine.
En ce choix les hommes se démarquent sans ambiguïté
de l'animalité.
PJ Dessertine ©
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