L'anti-somnambulique
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Philosophie instituée  

Six propositions aux lycéens pour l'étude de la philosophie


    L'étude de la philosophie en classe de Terminale implique de subir un certain nombre de contraintes :

- Les contraintes liées à l'organisation du lycée, en particulier :
      - l'absence de liberté de mouvement liée à l'obligation de présence;
      - les limitations d'expression liées au respect du groupe-classe.
- Le programme imposé en philosophie.
- Le fait du baccalauréat à réussir à courte échéance. Cela entraîne la nécessité de performance l'année même de l'initiation à la matière.
- La forme même du Bac : épreuve écrite en 4 heures, par choix d'un sujet parmi trois proposés, selon la forme de la dissertation et du commentaire.

    Or l'étude de la philosophie en Terminales est censée être " l'apprentissage de la liberté par l'exercice de la réflexion " (A. de Monzie, Instructions officielles).
    Nous voulons proposer aux élèves quelques repères pour qu'ils puissent concilier cette exigence de liberté portée par la philosophie avec le contexte contraignant de son apprentissage.

Première proposition : Il faut partir du principe que l'ensemble des contraintes imposées à l'étude de la philosophie au lycée ont une cohérence globale et que celle-ci est favorable à l'exercice de la pensée.

    Il ne s'agit pas d'exclure que des contraintes puissent être illégitimes : l'organisation de la vie du vaste groupe social qu'est un lycée, le budget alloué et sa gestion, la définition du règlement intérieur, etc., tout cela est pris dans la contingence des décisions humaines. C'est pour cela que nous parlons de "principe". En tant qu'étudiant la philosophie, l'élève doit partir de la confiance que l'institution, avec toutes les contraintes qu'elle impose, lui donne le meilleur contexte possible pour accéder à la pensée philosophique. Il peut ainsi garder son esprit disponible pour s'y consacrer.
    S'il n'a pas cette confiance au départ, alors il faut qu'il s'occupe de régler le problème institutionnel au préalable ; il y a, pour cela, un cadre légal tout à fait favorable.

Deuxième proposition : Personne, pas même le professeur de philosophie ne peut obliger autrui à philosopher. Cela est impossible. C'est donc à chaque élève de choisir d'entrer ou non dans la réflexion philosophique.

    Corollaire : On peut passer toute son année scolaire à respecter les contraintes de l'enseignement de la philosophie, sans jamais philosopher.
    Philosopher est un acte important de la liberté humaine parce qu'il implique un risque existentiel : quitter le confort d'une vision du monde héritée pour les incertitudes d'une réflexion rationnelle indéfinie parce que n'acceptant aucune limitation extrinsèque.
    On peut donc apprendre la philosophie sans jamais philosopher : il suffit de mémoriser les savoirs, d'appliquer les règles, de maîtriser un certain langage ... Il y a un savoir de la philosophie qui est de l'ordre du savoir technique, mais qui n'est pas encore de l'ordre de la pensée.
    Notre expérience contemporaine de l'enseignement de la philosophie montre qu'il y a une grande majorité de lycéens qui ne sont pas mûrs pour prendre le risque de la réflexion philosophique. Ce fait, parce qu'il implique la personne totale de chaque individu avec son histoire singulière, échappe à la maîtrise de la relation pédagogique. Aucune contrainte, aucun artifice didactique ne peut le changer.

Troisième proposition : L'étude de la philosophie en Terminales présupose ce contrat minimum : que le professeur apporte les moyens indispensables pour acquérir le savoir technique de la philosophie ; que les élèves acceptent de subir les contraintes et de faire les efforts nécessaires pour l'acquisition de ce savoir.

    L'exercice de la pensée philosophique est requis pour répondre pleinement aux exigences du devoir de philosophie au Bac.
    Cependant ce contrat minimum respecté par un élève qui n'a pas accumulé des handicaps graves dans l'acquisition d'une culture générale et la maîtrise de la langue durant sa scolarité, devrait lui permettre d'assurer une note correcte au Bac (la moyenne)... même s'il n'a, en son année de Terminale, jamais philosophé !
    Cela fait-il perdre tout sens à l'enseignement obligatoire de la philosophie en France ? Non ! La maîtrise de l'argumentation, la possession d'outils conceptuels, la familiarisation avec l'ouverture des perspectives liée aux points de vue généraux, la capacité d'interroger le langage, la connaissance de doctrines, sont autant de savoirs qui seront revivifiables lorsque, plus tard, l'expérience de l'existence s'étant diversifiée et dramatisée, le " besoin de la raison " (Kant) sera ressenti qui pourra s'investir dans un vraie réflexion philosophique.

Quatrième proposition : On ne peut philosopher dans le but d'une bonne performance au Bac. On ne philosophe que pour la joie d'être lucide. Et la performance à l'examen sera donnée par surcroît.

    La philosophie ne peut jamais être un moyen pour un but particulier de l'existence. Parce qu'elle est une valeur en elle-même. Elle est la lucidité, c'est-à-dire la mise en lumière ; et quand on est dans l'obscurité, la lumière est valeur en soi.
    Dans la mesure où le contenu du discours philosophique touche les problèmes essentiels liés à la condition humaine, il est normal que les buts particuliers (avoir une bonne note) s'effacent devant l'intérêt du sujet. Et c'est bien cet investissement dans la pensée en quête de lumière que le correcteur juge d'abord.
    Il reste qu'il y a un net décalage entre les buts de l'institution scolaire (l'accès aux diplômes) et la finalité de la réflexion philosophique (la lucidité). C'est la prise en compte de ce décalage qui permet de comprendre la place singulière de la philosophie dans l'enseignement. Il est souvent difficile d'accepter le renversement de perspective dans l'acte d'apprendre qu'implique la philosophie : il ne s'agit plus d'acquérir un certain nombre de propositions représentant un savoir déterminé, utilisable dans des occurences déterminées, car ce qui compte ce n'est pas le savoir qu'on applique, c'est la lucidité qu'on apporte.
    Mais il faut savoir gré à l'institution scolaire française d'assumer l'inconfort de ce décalage pour offrir à chacun l'occasion de prendre contact avec la philosophie. En se soumettant aux contraintes qu'elle édicte, on se donne, certes, les moyens d'accéder au statut social désiré, mais, en outre, on a la possibilité d'entrer dans une aventure personnelle et collective de lucidité.

Cinquième proposition : On peut très bien être en situation de ne pas pouvoir comprendre la valeur de la philosophie. Mais on peut toujours au moins admettre cette valeur. Il suffit pour cela que s'établisse une relation de confiance suffisante avec des adultes promouvant la philosophie comme valeur.

    Nous avons reconnu le fait contemporain de l'insuffisante maturité de la plupart des élèves de Terminales pour comprendre la valeur de la philosophie. Cependant le professeur n'est pas impuissant. L'honnêteté et la clarté de son engagement, son désir de faire partager à ses élèves les joies de la pensée, peuvent les gagner à l'idée que la philosophie est une valeur. Même si cela n'est pas suffisant pour leur permettre de penser philosophiquement, ils peuvent trouver là une motivation favorable dans l'accueil des savoirs et un vécu plus positif de leur année de Terminales. Et pourquoi pas, cela peut laisser dans la conscience lycéenne la brillance d'une étoile prometteuse, à suivre un jour ?...

Sixième proposition : C'est peut-être le plus haut sens de la liberté que de choisir des contraintes parce qu'elles permettent d'accéder à ce que nous jugeons avoir le plus de valeur.

    Pourquoi, en fin de compte, accepter les contraintes de l'apprentissage de la philo alors que l'on peut sans trop de dommage faire discrètement autre chose, "sécher" quelques cours, , etc...? Parce que chaque indvidu a en lui le sens d'une valeur supérieure, qu'il peut ou non cultiver, et qu'il n'a pas tort d'appeler "liberté".
Il sait en effet qu'il peut choisir de renoncer à des valeurs imposées - celles, en particulier, que l'on range sous la rubrique "plaisirs" et qui sont imposées d'abord par notre constitution naturelle, pour aller vers des valeurs pensées, c'est-à-dire qui n'existent que dans la mesure où les hommes se sont efforcés d'élucider leur condition humaine. En ce choix les hommes se démarquent sans ambiguïté de l'animalité.

m'écrire    PJ Dessertine ©