Pourquoi
l’homme épuise-t-il sa planète ? –
Résumé
L’homme contemporain vit dans l’irrationalité.
Il sait combien ses comportements sont dommageables à sa planète.
Mais il s’avère incapable de les réformer. Pourquoi en est-il
ainsi ?
Ce n’est pas par fatalité. Les rapports que l'homme établit
avec son environnement naturel sont libres : le propre de l’espèce
humaine n’est-il pas sa capacité de se soustraire aux finalités
de la biosphère pour suivre ses propres fins ?
L’homme peut donc être condamné moralement pour ses méfaits
sur la biosphère. Mais au nom de quel principe ? Ce doit être
un principe universel fondé sur la raison. Il ne peut être que
« le principe de responsabilité » de Hans Jonas : par ses agissements
l'homme contemporain est condamnable car il compromet, pour lui-même
et ses descendants, une vie authentiquement humaine sur Terre.
Cependant cette responsabilité doit être modulée en fonction
du pouvoir social de l'individu. C’est ici qu’il faut remarquer
le caractère « mercatocratique » de notre société – ce sont les
marchands qui ont le pouvoir. Ce sont eux qui, dans leur passion
pour la valeur d’échange, impulsent un activisme généralisé des
hommes sur leur environnement.
Il importe alors de comprendre comment la figure du marchand
en est venu à dominer la société. Le pouvoir marchand ne s’est
imposé que difficilement, à partir de la fin du XVIII° siècle,
non pas tant contre l’ancien régime fondé sur les valeurs guerrières
et religieuses, mais contre un autre projet porté par les ouvriers
et artisans, fondé sur les valeurs de l’œuvre. Celles-ci sont
l’égalité, la coopération, le partage ; elles ont été en particulier
représentées, au XIX° siècle, par l’anarchisme et le socialisme
dit « utopique ».
Hannah Arendt explique que l’œuvre est l’activité qui enrichit
le monde commun des hommes ; elle l’oppose au travail qui se contente
de pourvoir aux nécessités de la vie, et qui, pour cela, détruit
par consommation ce qu’il élabore. Or, l’œuvre, parce qu’elle
vise un partage culturel, n’implique pas la destruction de son
produit, mais sa durabilité. Contrairement au travail, l’œuvre
ne peut engendrer un activisme qui épuise la planète.
La mercatocratie a réussi à imposé une société de travail
généralisé parce qu’elle se nourrit du flux incessant des marchandises
produites et consommées. Pour cela, elle a fait partager mondialement
sa passion pour la valeur d'échange.
Mais comment cela a-t-il été possible? Comment tant d'hommes
en arrivent-ils à consumer leur énergie vitale dans le travail-consommation,
comme s’ils étaient des nécessiteux, alors même qu'ils sont dans
une situation d'abondance de biens ? L'effet de la domination
marchande ne suffit pas en rendre compte, il faut solliciter des
caractères propres à l'existence humaine.
L'ontogénèse nous apprend que le premier contact du nouveau-né
avec la nature est angoissant. La phylogénèse nous montre la permanence
d'un effort d'habitation de l'espace illimité par l'espèce humaine,
comme la persistance d'une situation d'exil en cet espace. L'invention
technique apparaît alors comme la solution rationnelle que s'est
donnée l’humanité pour avoir prise sur son environnement. Mais
l'histoire montre que cette maîtrise technique a été régulièrement
mise en défaut par les avanies que la nature a fait subir aux
hommes.
Ainsi, les rapports de l'homme à la nature doivent être
rapportés à un lourd vécu passionnel hérité du passé de l'espèce.
C'est par celui-ci qu'il faut rendre compte de son investissement
sur la technique. Celle-ci a toujours été la réponse par laquelle
l'homme s’est imposé dans la nature hostile. Mais, bien plus,
depuis la révolution scientifique moderne et l'avènement de la
technoscience, elle symbolise le renversement d'un rapport de
domination au bénéfice de l'homme.
C'est ainsi que le marchand, passionné de valeur d'échange,
a su exploiter le rapport passionnel de l'individu à la nature
pour qu’il valorise les marchandises, dans leur différentiel technique,
comme des biens qui lui sont vitaux.
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